Au Cabaret Vert, on pense en termes de festivaliers et de bilan carbone.

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Comme vous avez pu le remarquer dernièrement, Confestmag s’exporte désormais hors des frontières belges car si nous sommes habituellement connus pour être de bons vivants amateurs d’art, et de musique en particulier, dans notre plat pays, nous n’avons aucunement le privilège des organisations de qualité en termes de festivals.

Ambiance « cool » au Cabaret Vert.

Nos voisins hexagonaux ne sont en effet pas en reste. Beaucoup d’entre vous ont déjà entendus parler (ou se sont même rendus sur place) des Francofolies de La Rochelle, des Vieilles Charrues ou encore du Lollapalooza qui se décline aussi à Paris. Début septembre, nous vous avons également présenté Essonne en Scène, un festival certes moins connu et qui draine un peu moins de public que ceux cités précédemment, mais qui ne cesse de prendre de l’ampleur.

Un peu de Jamaïque dans les forêts ardennaises.

Ici, nous replongeons un petit peu plus en arrière dans la saison, pour revenir mi-août, sur le site d’un événement d’un certain standing quand même puisqu’on parle de 5 jours de festival, plus de 125 artistes musicaux (vous verrez qu’il y a aussi des auteurs / scénaristes / dessinateurs en plus), avec une assistance totale de 127000 personnes.

Quelques Belges, comme ces fans de Pierre De Maere, figurent parmi le public.

Cet événement, c’est le Cabaret Vert qui a pour atout d’être un Festival associatif (= tous les revenus éventuels de l’événement sont réinvestis dans le festival, ce qui leur a permis d’être reconnu comme étant d’intérêt collectif) et, pour nous, de se situer à proximité immédiate de la frontière puisque c’est à Charleville-Mézière, en Ardenne, qu’est implanté le site du festival.

Un beau site où la nature reste présente.

Nous avons profité de notre visite sur place pour Interviewer Cédric Cheminaud, l’un des organisateurs adjoints.

D’où vient cette appellation de Cabaret Vert qui ferait plus penser à une salle de spectacle qu’à un festival en plein air ?

Elle vient d’un poème de Rimbaud, ce poète originaire de Charleville-Mézière, la ville dans laquelle se déroule ce festival. C’est donc un clin d’œil au premier punk de Charleville-Mézière car il fut, on peut le dire, punk avant l’heure.

Avec les Lambrini Girls, on est loin de Rimbaud, sauf dans l’esprit Punk semble-t-il…

On approche d’un anniversaire un peu spécial.

En fait, cette année célèbre déjà les vingt bougies de l’association, mais nous en sommes à 17 éditions puisque le Covid nous a privés de deux années de festival.

Remontons à cette double décade précédente et nous retrouverons déjà dans les grandes lignes ce combat écologique qui est désormais votre fer de lance. C’est devenu un leitmotiv un peu partout sur la planète, mais à l’époque, vous deviez être parmi les premiers à évoquer ces préceptes.

Oui car si nous nous replaçons dans le contexte, la première édition a vu le jour en 2005. Mais l’idée n’était pas nécessairement conscientisée de défendre ainsi l’écologie. Les personnes qui se sont investies à ce moment voulaient monter un événement utile au territoire sans y laisser un impact trop fort, certains étant sensibles à la biodiversité car travaillant dans des branches qui étaient en rapport avec ce domaine. Ils voulaient donc ne travailler, notamment, qu’avec des artisans du coin, et faire en sorte qu’en quittant le site après les trois jours de festival de l’époque, ils laissaient le moins de traces possibles de leur passage. Cette manière réfléchie d’aborder l’organisation de l’événement leur permettait aussi de montrer une certaine responsabilisation, malgré leur jeune âge, la plupart des personnes impliquées ayant à ce moment une vingtaine d’années à peine. Ils ont donc planché directement sur la problématique des déchets notamment, en ramassant évidemment ceux qui allaient être retrouvés sur l’espace du festival et ses alentours, mais en réfléchissant aussi à un véritable plan pour limiter leur impact, comme l’utilisation de toilettes sèches.

A ce moment, on devait être à 10 000 festivaliers pour la première édition. Aujourd’hui, 16 éditions plus tard, on accueille plus de 125 000 personnes. Ce n’est plus la même mayonnaise. Mais au fil du développement du festival, nous avons posé des actes concrets s’inscrivant dans un plan plus réfléchi autour de cet impact écologique. La question bateau, c’est un peu : comment pourrait-on se montrer exemplaires ? Pour cela, il faut d’abord pouvoir sensibiliser les gens en leur expliquant quel peut-être le résultat de leur(s) décision(s) sur l’avenir de la planète.

On ne rigole pas avec le respect de la nature.

Vous avez, dans cette optique, lancé voici peu une étude dont la première réelle matérialisation vient de sortir et l’on constate que plus de 50 % du bilan carbone provient des déplacements.

Oui, et je dirais même que cela concerne presqu’exclusivement ceux des festivaliers car ceux liés aux artistes ne génèrent qu’un seul pourcent de cette quantité de rejets. Nous sommes dans un milieu rural, Charleville est une ville moyenne et tout de suite, pour voyager dans la région, on utilise une voiture. L’offre des transports en communs est en effet très (trop) limitée, surtout de nuit, ce qui renforce encore cette habitude de se mouvoir en voiture.

Dès 2005, nous avons pu nous attaquer à de nombreux critères influençant la « décarbonation » du festival, mais la mobilité du public reste un créneau où il y a des choses à faire. Une meilleure offre des transports en commun, au niveau  de buses mais aussi des trains, ainsi que l’utilisation plus assidue de bicyclettes sont des pistes. Mais nous sommes un peu seuls dans ce processus actuellement. Nous devons par exemple prendre en charge les frais liés à la mise en place de bus à partir de Lille, Nancy, Metz mais aussi Bruxelles (via Charleroi). Ces lignes n’existaient pas et nous avons donc payé le prestataire pour les mettre en place, avec les risques financiers que cela comporte si les bus ne se remplissent pas.

Des fôrets, un lac, une plaine… Le Cabaret Vert intègre la nature à son plan de déploiement.

En pratique, comment cela fonctionne-t-il pour le festivalier ?

Comme pour son accès au site, il doit commander son ticket, qui équivaut ici à sa place dans le bus, via la plateforme du festival. Il y a des trains aussi, dans les transports régionaux. Là, nous avons un soutien de la région Grand-Est qui nous permet d’offrir le retour à 1 euro. Concrètement, vous payez le prix normal pour l’aller, mais le retour est à un euro.

Nous avions tenté l’expérience en 2022 et là nous avons plus que doublé la fréquentation de ces trains sur cette édition.  Cela fonctionne donc, mais on doit aller encore plus loin dans l’idée.

Plutôt assis, couché ou debout? Il y en a pour tous les goûts.

Avec comme situation idéale de limiter au maximum tout déplacement, en proposant notamment des sites de camping à distance de marche ?

Oui. C’est l’idée. Avoir beaucoup de monde qui reste sur place, c’est gérable au niveau du bilan carbone vu ce que l’on vient d’expliquer. Le pire, c’est la multiplication des trajets. Nous avons donc mis en place deux campings. L’un est relativement calme, l’autre étant juste aux portes du site du festival. C’est effectivement un axe de travail aussi car nous désirons améliorer encore le cadre de vie de ces campings. Nous voulons également développer le tourisme vert car c’est notre ADN de valoriser ce territoire. L’an prochain, nous serons en pleine période du 15 août, et en Ardennes, il fait beau et bon à cette période, il y a de chouettes coins à découvrir, et de bons festivals (rires).

Bon! pas toujours quand on se souvient des conditions climatiques présentes fin juillet, début août, où la pluie était une invitée remarquée. Certains festivals ont d’ailleurs dû revoir leurs plans au dernier moment. Est-ce une hantise pour un organisateur d’être ainsi tributaire du temps qu’il fait ?

Mercredi matin, jour de l’ouverture du Cabaret Vert, je me suis retrouvé avec le directeur technique et le directeur général car nous nous posions des questions concernant notre capacité à pouvoir ouvrir le site parce que cela faisait deux semaines et demi que nous prenions la pluie. Forcément, dans ces conditions, les engins utilisés pour monter les scènes ont endommagé le terrain. Je ne pensais réellement pas que nous allions y arriver mais il y a eu une telle mobilisation parmi nos bénévoles (nous sommes 18 salariés, mais tous les autres participants, soit 2500 personnes, sont bénévoles) que nous avons réussi ce pari un peu fou. Il ne faut pas oublier non plus que 600 entreprises sont partenaires du festival, dont 95 % proviennent du territoire, et pour eux il était hors de question que l’on n’ouvre pas. Ils se sont donc mis au travail d’arrache-pied, on a vu arriver des engins de chantier, des entreprises de BTP se sont investies aussi… A 8h30, on s’interrogeait sur la faisabilité de l’action, et à 17h30, tout était prêt.

Grâce aux bénévoles, le site a pu ouvrir à temps et accueillir les festivaliers dans de bonnes conditions.

Une réussite technique donc, mais aussi populaire puisque plusieurs jours sont sold-out.

Oui, nous aurons probablement, cette année, la deuxième meilleure assistance sur les 17 éditions du festival. Nous serons très proches de l’an dernier, où c’était un carton plein.

On parle de 127 à 130 000 personnes, sur les 5 journées d’ouverture. Avec plus de 125 artistes musicaux répartis sur 5 scènes. C’est une sacrée logistique qui doit se cacher là-derrière.

C’est la force du nombre. Sans nos 2500 bénévoles, nous ne serions rien. On ne saurait, matériellement, rien faire. Au fil des ans, certains acquièrent aussi des compétences sur le terrain. Au point d’en faire après leur métier, tout en prolongeant leur engagement bénévole sur le festival car il y a un vrai ancrage auprès des participants. Mais cela demande toujours, quoi qu’il advienne, beaucoup de travail.

On était près du sold-out total avec 127000 personnes sur 130000 possibles en 5 jours.

En parallèle au festival musical, on retrouve des projections de films, un espace BD et des activités autour de thèmes de société. D’où est venue l’idée d’associer toutes ces branches autour d’un même tronc ?

Les organisateurs initiaux étaient quatre. Et chacun avait son cheval de bataille si l’on peut dire. Un était fan de musique, un adorait les BD … et l’un d’eux jonglait et crachait du feu. Ils sont donc partis sur un concept à trois têtes avec la musique, la BD et les arts de rue.

Depuis peu, on est passé à quatre avec les projections cinématographiques dans deux petites salles. Concernant la BD, le salon a pris une belle ampleur, devenant désormais l’u des dix plus beaux en France. Cette année, nous avons 70 auteurs et des éditeurs présents. Certains artistes décalent leur sortie pour que celle-ci se fasse lors du salon. Pour exemple, on fête l’anniversaire de Kid Paddle avec un album qui est effectivement proposé en avant-première à Charleville-Mézière. Régis Loisel, qui est une légende vivante de cet art, mais qui ne fréquente plus trop les événements publics, a accepté, vu son attachement au Cabaret Vert, de venir pour quelques dédicaces notamment.

Des Bandes-dessinées d’un côté, des affiches très « rock » de l’autre. Il y en a pour tous…

Et nous avons Charlie Adlard, mondialement connu comme le créateur de Walking Dead, qui vient présenter sa nouvelle série « Altamonte » sur le thème d’un festival rock qui avait lieu dans les années 70. Et nous avons développé, cette année, un double prix BD Cabaret Vert. Il y a le prix jeunesse, pour lequel nous avons collaboré avec 54 classes, soit plus de 1000 élèves qui ont choisi parmi 4 bandes dessinées préselectionnées qui avaient toutes un lien avec le développement durable. C’était aussi une façon de sensibiliser les enfants à cette problématique. Et le prix adulte a lui été remis par la ministre de la culture, en visite sur le site ce samedi.

Eclectisme dans les arts abordés, mais aussi au sein même de la programmation musicale avec de l’électro, du rock, du punk, du rap, de la pop et même un groupe référence d’Irish punk avec la venue des Dropkick Murphys. Est-ce là un signe (encore) de l’ouverture du festival à toutes les cultures ?

Oui. Nous sommes désormais trois au sein de la direction artistique et nous sommes de grands amateurs de tous styles musicaux. Nous avons aussi l’envie d’ouvrir le festival à un maximum de générations. Le festival en est à sa 17e édition et l’on se doit de faire des clins d’yeux à la première édition et à ce public qui nous suit depuis lors, avec quelques artistes « référence » qui ont déjà foulé nos scènes auparavant, les Dropkick, Cypress Hill, les Chemical… mais on veut aussi montrer que sur ce territoire, nous restons connectés à l’actualité, en nous ouvrant à la modernité, avec quelques projets artistiques novateurs. C’est aussi une manière de montrer toute la palette de richesses artistiques de la musique.

Depuis l’épisode du Covid, nous avons remarqué que le public fonctionne beaucoup en communautés. Les rockeurs d’un côté, les rappeurs d’un autres, les fans d’électro dans telle ou telle soirée… Notre approche tente à renverser un peu en permettant à tout un chacun d’écouter un peu de tout. Tout ce qu’ils risquent, c’est de découvrir un ou plusieurs artistes auquel ils n’auraient pas penser, et de finalement les apprécier.

A chacun son style, même seul devant les baffles…

Outre le projet « décarbonisation » qui est sur de bons rails, avez-vous encore une idée, ou un projet particulier à développer prochainement ?

On veut encore améliorer la qualité d’accueil et l’expérience du festivalier. C’est un sujet d’actualité un peu partout, mais nous mettons vraiment les mains en action pour œuvrer en ce sens. On fait évoluer le site car on veut que malgré tout la circulation garde une certaine fluidité et que chacun apprécie son expérience sur place. C’est dans cette optique que les scènes ont été redéployées tout autour du site. On va maintenant s’attaquer à la grande scène. C’est une des plus grandes d’Europe. Actuellement, on peut accueillir 26 000 personnes devant, mais c’est un peu la limite avec l’implantation actuelle. Nous pensons donc à une autre organisation pour augmenter sensiblement la capacité d’accueil de cette scène principale, mais cela aura inexorablement des répercussions sur d’autres postes, comme les entrées. Et en parallèle, on aimerait développer les campings. Ce sont les deux gros points sur lesquels notre équipe planche d’ores et déjà.

Quand le verre ne suffit plus, on passe à la cruche.

Car, l’édition 2024 est déjà prête à sortir des caisses. En effet, plusieurs artistes seraient déjà confirmés dans le line-up de cette année olympique, même si les organisateurs préfèrent garder un peu de secret autour de l’identité de ces chanteurs/chanteuses.

Le Cabaret Vert 2023 en chiffres :

  • 127.000 festivaliers
  • 8350 campeurs
  • 130 artistes musicaux à l’affiche
  • 5 scènes
  • 70 auteurs BD invités
  • 7 tables rondes thématiques
  • 600 partenaires
  • 2500 bénévoles

Réseaux sociaux :

  • Instagram : 48K abonnés / + de 10K abonnés depuis juillet
  • TikTok: 8.6K abonnés / + 3600 abonnés en 1 mois

Facebook : 102K abonnés

Respectueux de son écosystème écologique, social et économique le Cabaret Vert est guidé par des principes de développement durable et de solidarité.

En 2019 le festival s’est fixé une feuille de route détaillant 12 actions et objectifs ambitieux à respecter d’ici 2025.

  1. PARTICIPER AU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DU TERRITOIRE
  2. PROPOSER UNE RESTAURATION DURABLE ET SAINE
  3. ENCOURAGER LA MOBILITÉ DOUCE
  4. RÉUTILISER, RÉDUIRE ET RECYCLER LES DÉCHETS
  5. MAINTENIR LA BIODIVERSITÉ & PRÉSERVER LES RESSOURCES
  6. MAÎTRISER LA CONSOMMATION D’ÉNERGIE
  7. DÉVELOPPER L’ACCESSIBILITÉ AUX PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP
  8. MOBILISER & SENSIBILISER
  9. RENFORCER L’UTILITÉ SOCIALE DE L’ÉVÉNEMENT
  10. LUTTER CONTRE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATIONS
  11. SOUTENIR LA DIVERSITÉ CULTURELLE
  12. COOPÉRER & ÉCHANGER LES BONNES PRATIQUES

Au nombre de 12, ils constituent un véritable engagement concret, chiffrable, réel avec des objectifs à long terme et d’autres à atteindre dès cette année. Histoire que cet idéal ne soit pas que des mots jetés en l’air.

ReMarck (92)

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