Cali, l’hydre à trois tête (Partie 3).

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« C’est plutôt ça la victoire, avoir Souchon qui te contacte pour te réconforter. Il y a des gens comme cela qui sortent du commun. Ici j’en ai fait une chanson ».

Dans les épisodes précédents, Bruno s’est livré sur son adolescence et sa passion pour l’écriture ainsi que la lecture. Mais il est, et reste, un chanteur apprécié. Un nouvel album studio vient d’ailleurs d’être finalisé et sortira le 14 octobre « dans les bacs » (même si l’expression est de moins en moins réaliste vu que la plupart des écoutes se fait via streaming ou des plateformes de téléchargements).

Ce troisième et dernier volet de notre rencontre avec l’artiste aborde plus particulièrement cet aspect de sa vie, puisqu’il déteste évoquer le mot carrière.

De la musique, des livres, du cinéma… quel rêve reste-il à réaliser après un tel parcours ?

Le tour du monde en bateau. J’en rêve. Un chanteur français m’avait déjà fait une proposition. Je me voyais traverser l’Atlantique pour arriver à New-York. On devait partir à deux. Il me dit, il y a quand même un skipper qui a fait la route du Rhum qui va nous guider. Okay. Mais il y a eu une toute petite tempête entretemps et son bateau a coulé au fond de l’eau (rire). On était bien barrés. Mais je veux toujours faire ce tour du monde en bateau et faire des voyages en famille, voir ma petite maison en Irlande, pays où j’ai décidé de mourir. Artistiquement, la seule limite est l’imagination et si la vie m’offre encore un petit bout, m’amuser car c’est l’essentiel.

Comme lors de son premier concert aux Vieilles Charrues, Cali donne tout sur les planches.

Je me souviens encore de ma première aux Vieilles Charrues. Je joue devant 60 000 personnes. Je suis bouleversé et je tombe en pleurs en sortant de scène. Là, une artiste me relève, c’était Patti Smith. Elle dégrafe un badge qu’elle m’offre. Ce jour là, j’ai été dormir avec des étoiles dans les yeux et la tête. Là, c’est un moment extraordinaire, mais chaque moment peut l’être. On n’est pas obligé d’être chanteur pour apprécier la vie et vivre des moments forts.

Sur votre dernier album, un morceau est dédié à Alain Souchon. Pourquoi ?

En fait, j’ai perdu 8 fois sur 8 aux victoires de la musique, en France, je m’en fous car c’est truqué. Je suis un peu comme Zlatan qui n’a pas besoin d’avoir le ballon d’or pour savoir que c’est lui le meilleur (sourire). Quand il a sorti cette phrase, il est devenu l’un de mes héros. Je rigole avec ça, mais alors que je venais de perdre une nouvelle fois, et que je rentrais, un peu déçu, certes, à la maison, j’ai reçu un coup de fil d’Alain Souchon. Il a dû demander mon numéro à quelqu’un, je ne sais pas. Il m’a dit « tu sais Cali, j’aime tes chansons et tu n’as pas besoin de Victoire. Ne sois pas triste. J’ai trouvé cela tellement classe. Il m’a redonné le sourire. C’est plutôt ça la victoire, avoir Souchon qui te contacte pour te réconforter. Il y a des gens comme cela qui sortent du commun. Ici j’en ai fait une chanson.

8 nominations aux Victoires, O trophée, mais toute l’admiration de Souchon.

Mais un autre gars est aussi terrible, c’est Renaud. On dit beaucoup de choses sur lui. Mais je vais vous raconter une anecdote qui décrit l’homme. J’avais une amie qui était une vraie fan de Renaud. Je la savais malade et je lui ai dit de tenir le coup, que j’allais lui présenter son artiste favori car je devais jouer un peu plus tard dans la saison avec lui. J’informe quand même Renaud de l’intérêt de mon amie pour lui et il me dit, oui, tu me la présenteras et on fera connaissance. Entretemps, elle est décédée. Je n’allais pas rappeler Renaud pour lui dire vu qu’il ne la connaissait pas, et le jour du concert venu, il est là dans un coin, seul, et il m’appelle en me disant, elle est où ta copine ? Tu peux la faire venir. Je lui dis elle n’est pas là, elle est décédée. Il était triste avec moi. Je l’informe alors que le fils de cette dame sera dans l’assistance. Il a alors demandé à le rencontrer. A la fin du concert, ils se sont rencontrés et ont pleuré ensemble.

Ces deux artistes, Souchon et Renaud, sont des anges, mais pour cet album, mon ange se nomme Johnny Cash. J’étais dans la voiture, avec la radio allumée, sur le chemin du studio pour aller montrer mes compos à Julien Lebart, mon ami pianiste qui a produit l’album avec moi. En arrivant je lui ai dit, c’est terrible, tout ce qui passe à la radio ne me touche pas. Chacun ses goûts mais là, c’est terne. Je suis dans ma période Johnny Cash et Bob Dylan et ça c’est de la musique. Il m’a dit okay, j’ai compris. Il a placé le micro à un mètre. J’ai pris ma guitare, l’harmonica, et j’ai fait toutes les chansons, vingt-cinq je pense, en une prise. Sur l’album, il reste même un ou deux morceaux sur lesquels c’est juste guitare/voix. On a fait quelque chose de très organique là-dessus. C’est parti de là. Je voulais çà. Après seulement, Steve Wickham est arrivé.

La sonorité du violon apporte toutefois différentes couleurs aux morceaux.

Oui, Steve Wickham est très particulier car vers 3 – 4 ans, on l’a mis au violon classique, mais la famille l’a emmené à Sligo, qui est la ville des musiciens irlandais. Là, il a appris les us de la musique irlandaise. Sa musique est donc un mélange de classique et d’Irlandais. C’est quand même lui qui joue sur Sunday Bloody Sunday de U2. Puis c’est un membre des Waterboys. Il faut faire très attention avec Steve car si vous lui laisser plusieurs prises, vous ne saurez plus laquelle choisir tellement son interprétation est toujours merveilleuse. On le limite donc à une seule prise (rire). Sur le morceau Souchon, justement, je voulais une gigue à la fin. Il s’est imagé assis dans un pub en Irlande, a commencé à taper du pied et c’était plié.

Les musiciens ont aussi besoin d’une belle dose d’énergie pour suivre le rythme de cette pile électrique.

Le morceau qui ouvre l’album, « Lâche pas », fait-il référence à Arno, comme une sorte d’hommage ?

Il me manque beaucoup ce garçon. J’ai eu la chance de le croiser à plusieurs reprises, j’ai partagé la scène avec lui, et c’était toujours marquant comme cette fois à Bruxelles, où je me baladais en famille. Je ne sais pourquoi mais j’avais une envie de moules. On est là depuis dix minutes, aux abords du quartier de l’Archiduc, et j’entends « Qu’est-ce que tu fous là Cali ? » C’était Arno. Je lui explique mon envie et il me renseigne une adresse. Là, arrive une vielle dame avec un parapluie qui lui tape sur la tête en lui disant, Arno, ce n’est pas la saison des moules, tu ne peux pas l’envoyer là…Et ils se sont engueulés là, comme ça, en rue. C’était merveilleux. Pour moi, c’est ça Arno. Revenons à cette chanson, tout qui a perdu quelqu’un peut l’interpréter ou la dédicacer à cette personne. Mais au final, je pense qu’elle est pour moi cette chanson, pour me persuader avec ce « lâche pas ». Cela s’appliquant d’ailleurs bien au tournage du clip où ils m’ont fait monter à 2h du matin dans mes montagnes catalanes à 2600 ou 2800 m de hauteur, histoire de capter les premiers rayons du soleil. Tout ce ceci en me faisant courir ! Non mais, à mon âge, vous imaginez, j’ai couru pendant … 2 jours (rire). En plusieurs prises, oui, mais le résultat était le même, j’étais mort.

Fan de Jagger, Cali se dépense aussi sans compter sur scène.

Cela dit, voici peu j’ai été voir les Stones à Lonchamps pour la tournée des 60 ans. C’était la première fois que j’allais voir Mick Jagger sur scène. Cela s’est décidé en dernière minute. L’une de mes filles avait réussi à trouver une personne qui pouvait avoir une place, mais je n’ai jamais trouvé cette personne à la sortie du métro évidemment. J’étais donc résolu à les écouter de l’enceinte extérieure, en suivant la foule. Puis, sur place, j’ai vu deux jeunes qui vendaient leurs places à un prix super démocratique. Moins cher que le prix de vente initial. C’est du jamais vu à Paris ça. J’en ai profité et à l’intérieur, il y avait des jeunes, des vieux, tous avec le sourire, et sur scène un gars de 79 ans qui courait comme un gamin. Là, j’ai dit Waouh, comment il fait ?

On retrouve un peu de Springsteen aussi dans cet album.

Exactement. D’ailleurs si vous êtes attentifs au morceau « Hey les amoureux », il est presque calqué sur « Atlantic City » de Springsteen. C’est pas pompé évidemment, mais j’ai de suite eu l’idée de ce vers quoi le morceau devait évoluer. Je voulais retrouver cette vérité-là. C’est aussi pour cela que j’ai apprécié cette manière d’enregistrer en une prise. Ainsi, on ne pouvait pas recopier l’émotion de la fois précédente. C’était brut. On en revient à cette notion de première fois du début de l’entretien. Tout est sur le fil, sincère, en une prise, authentique. Mais c’est aussi ce que je ressens lorsque je joue ce spectacle de « Ne faites jamais confiance à un cow-boy ».

Pourquoi cet amour pour l’Irlande ?

Vers 16 ans, j’ai fait une fugue amoureuse. J’ai été retrouver mon amour de jeunesse en Angleterre. Son père était d’accord avec notre relation, il voulait même bien m’aider à trouver du travail sur place, mais je devais découvrir l’Irlande avant de me poser. Je suis parti en stop. Je suis arrivé au petit matin et là, au bout d’une rue étroite pavée, s’échappait, à 8h du matin, le son de la chanson « Unforgettable fire » de U2. C’est comme un appel, un signe, qui dit que c’est mon pays. J’y suis retourné à de nombreuses reprises et je pense vraiment que je ne me suis pas trompé. Au-delà de la beauté même du pays et de ses paysages, c’est la gentillesse des gens qui est prenante. Une fois, nous étions là en famille. On dormait une nuit sur place, à Dublin, puis on devait louer une voiture pour partir à la découverte des contrées. Mais ma compagne était malade. J’ai donc demandé pour rester un jour de plus. Le lendemain, elle allait mieux, on allait donc partir avec les enfants, et au moment où je veux aller payer notre nuit supplémentaire, le gars me dit, mais ça ne va pas, madame était malade, vous n’allez quand même pas payer pour ça. Imaginez-vous faire cela à Paris ! C’est ainsi partout en Irlande, ils ont réussi à garder un lien social et une approche humaine malgré l’invasion des nouvelles technologies. Steve Wickham, malgré sa notoriété et son parcours, va encore régulièrement jouer dans des pubs. C’est lui qui m’a fait découvrir Sligo et son univers si intemporel où les musiciens jouent des nuits entières les larmes au coin de l’œil.

Sur papier, lors d’un seul en scène, en écoute radio, CD ou streaming… vous allez encore croiser Cali souvent ces prochains mois.

Retrouvez un peu de Wickham, de Springsteen, de Johnny Cash, mais surtout beaucoup de Cali dans son nouvel album « Ces jours qu’on a presqu’oubliés » dont la sortie est fixée au 14 octobre 2022. A vos agendas… (et n’oubliez pas que les 3 romans sortis de la plume de l’artiste sont également disponibles et qu’il est actuellement en tournée avec son spectacle poético-musical « Ne faites jamais confiance à un cowboy » – les dates et lieux figurent dans nos articles précédents).

ReMarck (147)

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