Le Cabaret Vert joue la carte de l’innovation.
En cette période où certains festivals commencent à annoncer les premiers noms de leur line-up 2025, des nouvelles moins réjouissantes fusent ci et là en provenance également du monde de la musique. La pandémie du Covid avait déjà marqué un fameux frein au développement de certains, mais là, les dépôts de bilans et annulations tombent en cascade.
L’augmentation des coûts énergétiques, l’explosion du cachet sollicité par beaucoup d’artistes, le retrait de plus en plus marqué des pouvoirs communaux dû à l’austérité ambiante… les causes sont multiples, mais la conséquence est unanime, le calendrier des festivals va s’amincir fortement cet été.
Sur quelques jours, nous venons en effet d’apprendre la mise en liquidation de l’ASBL en charge du festival Feelgood à Aywaille, l’annulation définitive de Scène-sur-Sambre, qui avait déjà dû mettre son édition 2024 entre parenthèses, et la fin du festival Essonne en scène car son plus gros support, le département, se doit de restreindre ses dépenses. Et dire que nous n’avons toujours reçu aucune nouvelle de certains autres événements ce qui ne laisse rien augurer de bon !
Heureusement, d’autres festivals comme les Ardentes, La Semo, Les Solidarités, Le Baudet’stival, Werchter Boutique et Rock Werchter, le Pinkpop, les Gens d’Ere … ont d’ores et déjà lancé les invitations pour l’été.
Alors que les réveillons n’ont pas encore sonné leur glas, quelques noms ronflants sortent déjà du chapeau de certains organisateurs. Mais la plus grosse surprise vient sans doute de Charleville-Mézières où un certain Will Smith devrait venir clôturer une édition anniversaire (la première du festival date de 2005) que l’équipe du Cabaret Vert concocte avec soins depuis de nombreux mois.
Nous avons voulu savoir comment cet événement annuel a, au fil des ans, pris une ampleur telle qu’il est désormais l’une des places fortes des Ardennes capable d’attirer des stars mondiales dans une région pourtant pas si connue hors de nos frontières.
C’est le directeur adjoint du festival, Cédric Cheminaud, qui a accepté de répondre à nos questions, et ce malgré un planning assez chargé, car le Cabaret Vert n’est pas qu’un festival se déroulant sur 4 jours en août. C’est aussi toute une équipe oeuvrant au quotidien pour le site occupé à l’année et d’autres événements plus thématiques comme le club Razorback de ces 20 et 21 décembre.
Cédric, 2024 a vu de nombreuses modifications apportées au site du festival, avec notamment une entrée pour le public versée de l’autre côté du lac et l’inversion des scènes Illumination et Zanzibar. Quels sont les retours et enseignements de ce nouvel agencement ?
« Ce fut effectivement une année charnière car nous avions besoin d’un redéploiement des scènes mais en respectant au mieux l’environnement qui nous a été confié. Nous voulions en effet que ce lac prenne une place importante dans la circulation du public. Globalement, les retours, qu’ils soient du public ou des bénévoles, sont positifs donc je pense que nous avons relevé avec brio l’important défi que nous nous étions imposés.
« Le dimanche fut le point d’orgue avec une affluence record de 32000 spectateurs. Il n’y a eu aucun souci majeur mais nous avons remarqué que certains points pouvaient encore être améliorés, notamment concernant les déplacements entre les scènes. Il faut dire que les éléments météorologiques ne nous ont pas aidés, le samedi ayant fait face à d’importantes averses qui ont endommagé une partie du site. Nous avons tenté d’agir au mieux pour le confort du public mais ce n’était pas encore assez. Nous ne pouvons toutefois plus faire abstraction de la pluie et de la boue en espérant que l’on passe entre les gouttes car ces dernières années nous ont montré que les fortes pluies devaient désormais faire partie intégrante de la réflexion. »
Vous avez pourtant toujours mis en œuvre des moyens pour préserver au mieux le site et le public comme en 2023 où vous aviez fait venir de nombreux camions citernes pour pomper l’eau excédentaire avant de placer des bâches en matière biodégradable, et en 2024 des camions ont également tenté de pomper le surplus ou de le couvrir de sciure mais le mal était déjà fait.
« Si nous pouvions tout protéger comme en 2023, ce serait simple. Coûteux, certes, mais possible, toutefois, nous devons aussi tenir compte de nombreux paramètres liés aux spécificités de ce site naturel. Il ne nous est pas permis de tout bétonner ou de mettre de la terre ou du sable où l’on veut. Nous allons donc devoir :
- Retravailler le plan de circulation interne
- Anticiper au mieux les modifications climatiques en prévoyant des réserves de matériel et de machines pour intervenir de manière efficiente. »
Concernant les scènes, Zanzibar au centre de la plaine principale est désormais acté ?
« Oui, je trouve que la main stage a désormais trouvé sa place. Elle paraît même plus imposante là, trônant sans aucun édifice autour. Par contre, nous ne savions pas trop comment utiliser cette deuxième scène « mixte » qui n’arrivait pas à faire l’unanimité. Nous allons donc fusionner les scènes Razorback et Illuminations afin de créer un espace rock plus conforme au niveau des groupes et des performances proposés. Razorback était bien, et très appréciée des quadras et quinquagénaires notamment, mais elle était trop vite saturée au niveau du public. Il n’y aura donc plus que 4 espaces dont trois thématiques (urbain/rap – dance/reggae/dub – rock/metal) avec un Razorback XXL qui permettra aux métalleux de rencontrer plus d’adhérents encore ».
L’entrée côté ville restera de mise aussi ?
« C’est clair. A cet endroit, le public est beaucoup plus proche de la gare. Cet emplacement a sans doute contribué à l’essor récent de la mobilité douce avec une montée en puissance de l’utilisation des bus et trains. C’est une franche réussite qui nous encourage à persévérer dans cette voie avec l’aide des pouvoirs publics. Nous sommes dans une région semi-rurale où la voiture est presqu’obligatoire pour se déplacer en temps normaux. Mais avec les offres fournies en termes de services et de prix, beaucoup optent désormais pour laisser leur quatre roues au domicile, ce qui est un peu le but recherché ».
Comment un festival comme le Cabaret Vert peut-il proposer chaque année une affiche aussi fournie en quantité et en qualité alors que de nombreux autres événements claquent définitivement la porte faute de moyens ou étant confrontés à une hausse non assumée des coûts ?
« Nous faisons face à la même conjecture que les autres. Il n’y pas de secret. Mais nous avons choisi d’innover au lieu de se renfermer et de jouer l’austérité. Avec le passage de 5 à 4 scènes, nous « perdons » une vingtaine d’artistes, ce qui va inexorablement nous faire économiser un peu d’argent sur les frais de ce secteur (NDLR : au prix du cachet de l’artiste, il faut ajouter les coûts liés aux trajets, au logement, aux boissons et nourritures ainsi que toutes les doléances éventuelles de l’entourage de l’artiste).
Mais avec plus d’une centaine d’artistes, nous restons une référence. Cela dit, malgré toutes nos idées et notre expérience en la matière, le Cabaret Vert reste un colosse aux pieds d’argiles. Avec deux journées record en 2024 et deux autres journées très bien fréquentées, nous avons juste pu tenir les comptes. Il faut en effet un taux de remplissage de 95% pour être à flot. Vous comprendrez donc que chaque année nous prenons d’énormes risques. Mais c’est aussi là où notre réflexion est différente d’autres événements du même genre, ce festival participe à la vie de la région, il permet à de nombreux commerçants de pouvoir proposer leurs produits et leur savoir-faire. Une année sans festival serait pour eux très dommageable ».
Contrairement à d’autres événements qui occupent leur site juste quelques jours par an, vous avez établi votre bureau sur place, cela veut dire qu’organiser un tel événement est un emploi à plein temps pour toute l’année ?
« Oui, nous avons une équipe permanente d’une vingtaine de personnes, à l’année, sur le site, mais nous devons inclure dans le team nos 2700 bénévoles et les 230 responsables d’équipes car ils sont nos bras et nos jambes. A nous les idées, à eux le temps et l’énergie. Mais pour en revenir à votre question, oui, un tel événement sollicite une implication assez énergivore. D’autant plus que le feu vert vient d’être affiché pour la réhabilitation de la Macérienne, l’usine qui représente le symbole de ce coin. Cela va encore nous demander un peu plus d’investissement en termes de temps et d’implication. »
Tant de variations par rapport aux autres événements du genre, cela dénote un peu dans le paysage actuel…
« Nous n’avons pas peur d’affirmer que nous avons un peu un statut d’Ovni dans ce monde des festivals car nous n’appliquons pas les codes communs. Souvent, des festivals de notre ampleur attirent une ou deux têtes d’affiches et font toute leur communication sur cette attraction, les autres groupes étant d’un calibre bien moins intéressant. Ici, nous nous battons pour garder un line-up qualitatif et quantitatif (plus de 100 artistes) capable de tenir la barre haute dans trois styles différents (urbain / rock – métal / variété –dance) et tout ceci pour un budget raisonnable. Cette logique ne s’applique d’ailleurs pas qu’à la musique. Pour la nourriture et les boissons, nous appliquons les mêmes préceptes. Nous voulons proposer de la qualité et du choix, mais en valorisant également le territoire. Ainsi, tous nos produits proviennent d’exploitations situées à moins de 200 km du site.
« Nous pourrions gagner du temps et de l’argent en nous associant à un gros fournisseur/sponsor mais cela irait à l’encontre de notre charte. Nous préférons permettre à plusieurs petites structures de venir présenter leurs produits. Ainsi, nous avons une soixantaine de bières spéciales, dont des Belges, qui sont disponibles à un endroit ou l’autre du festival. Et vu qu’elles sont toutes excellentes, on n’y perd pas au change, tout en respectant l’engagement écologique vu que le rayon de transport est limité ».
Une autre spécificité du Cabaret Vert est cet attrait particulier pour le monde de la BD, un secteur qui est désormais l’une des places fortes des amateurs de dédicaces.
« Cela demande un investissement aussi, notamment budgétaire, mais on ne veut pas supprimer nos points forts et spécifiques pour économiser à tout prix. Au fil des années, nous avons créé des liens avec des écoles de la région qui sont désormais parties prenantes dans le processus de sélection de l’un des prix décernés. Cela nous permet d’initier les enfants à l’art de la BD tout en les sensibilisant aux problèmes de société puisque c’est la thématique des ouvrages proposés. Nous espérons jouer ainsi un peu un rôle dans leur éducation civique ou leur prise de conscience de l’urgence de protéger notre planète.
C’est aussi dans ce même esprit de partage et d’échanges d’idées que nous gardons l’Estaminet, ce point de rencontre qui permet à des artistes de mondes et d’arts différents d’entrer en relation. Le groupe The Libertines par exemple est très friand des œuvres de Raimbaud. Et bien lors de leur visite au festival, les membres du groupe ont pu bénéficier d’une visite du musée consacré à l’écrivain. Et l’un des moments les plus marquants de l’édition 2024 fut sans doute cette rencontre improbable entre les membres du groupe Justice (2 DJ’s français très actifs de l’autre côté de l’océan atlantique) et l’un de leurs dessinateurs favoris. Ils étaient ravis de le voir leur dédicacer un exemplaire de l’une de ses œuvres et ce dernier n’en revenait pas d’être là avec la tête d’affiche de la soirée qui allait jouer devant près de 30000 personnes. »
En 2024, deux journées assez thématiques avaient pris place dans le calendrier (très urbain le vendredi, plutôt rock le dimanche). Renouvèlerez-vous cette expérience ou va-t-on revenir à un panaché de culture(s) ?
« Ce fut l’une de nos réflexions de ces derniers mois car si le concept a prouvé son intérêt, ces deux journées étant celles qui ont affiché des records d’affluence, il a aussi fait ressortir une séparation des publics et un achat plus centré sur les tickets journaliers que les pass pour plusieurs journées. Ce dernier point va un peu à l’encontre de notre objectif artistique, donc nous allons tenter de revenir à une formule nous permettant de rencontrer des publics différents sur une même journée. Financièrement parlant, ce n’est peut-être pas compréhensible pour certains, mais un festival a pour vocation de permettre aussi à des artistes moins connus de proposer leurs compositions à un public plus large. Nous avons donc réfléchi à des associations de genres qui pourraient « matcher » alors que de prime abord rien ne les rassemble.
« Booba jouera le même jour que Zaho de Sagazan par exemple. Pas vraiment le même monde, pas le même public ? Et pourtant Booba a publiquement déclaré que Zaho de Sagazan était l’une des chanteuses les plus intéressantes de cette génération… Will Smith effectuera son grand retour juste après le passage d’un certain Julien Doré, et du côté des Queens of the Stone Age (on croise les orteils car cela fait deux fois qu’ils nous glissent entre les doigts au dernier moment), nous leur avons joint Mc Solaar à l’affiche car leurs publics sont sensiblement du même âge ».
Vous venez d’en parler, l’attraction de l’année sera sans doute le grand retour de Will Smith, plus actif ces dernières années au cinéma qu’avec un micro en main. Comment le Cabaret Vert peut-il attirer un tel phénomène ?
« Notre programmateur historique du Cabaret Vert, Christian Allex, dispose d’un réseau très intéressant, constitué au fil des années. Travis Scott, Dj Snake… combien de grosses pointures actuelles ont transité par chez nous avant de connaître le succès planétaire qu’elles ont maintenant ? Avec une vingtaine d’années d’expérience désormais, nous avons prouvé que nous avions un festival de qualité et dont la résonance dépassait largement les frontières des Ardennes. Cela se sait au sein des producteurs internationaux. Le flair de l’un, la reconnaissance des autres, et c’est déjà un premier pas intéressant. Dans ce cas précis, le représentant de monsieur Smith cherchait un endroit où son protégé pourrait revenir faire du bruit en Europe, et comme nous étions intéressés aussi, cela s’est conclu par une fin heureuse « .
Pour conclure, car ce n’est pas pour rien que ce festival s’appelle le Cabaret Vert, que pouvez-vous nous dire des projets écologiques encore sur les rails actuellement ?
« Ce n’est un secret pour personne, nous travaillons depuis des années maintenant pour réduire au maximum les émissions liées aux déplacements car c’est le secteur où l’effort peut être le plus grand. Pour cela, nous tentons d’une part de favoriser le camping ou les logements à proximité et d’autre part de mettre l’accent sur la mobilité douce ou à défaut les transports en communs, et ce afin de limiter au strict minimum l’usage des véhicules à moteur personnels. Nous sommes soutenus dans ce projet par le secteur public. Cela porte ses fruits depuis plusieurs saisons déjà, mais chaque année nous progressons encore un peu.
Le deuxième gros axe est la décarbonation de l’énergie. Ce projet s’inscrit sur un plan de 5 ans (2025-2030) dont l’objectif est de produire toute notre énergie, quitte même à pouvoir revendre localement le surplus vu que la production se ferait en continu.
Dernier poste important : la restauration. Nous avons déjà atteint de beaux objectifs mais tous les calculs montrent que la consommation de viande est la plus « problématique ». On pourrait tout simplement la bannir et s’orienter vers du full végétarien, mais ce n’est pas notre intention. Primo, de nombreux producteurs de viandes bovines proviennent du coin. Deuxio, on ne veut pas prendre le public en otage, celui qui veut manger de la viande peut évidemment. Nous allons plus vers une sensibilisation du public, en lui expliquant le bilan carbone de chaque menu histoire de comprendre qu’un bon hamburger le jeudi peut laisser place à une préparation moins carbonée le vendredi… »
Voici qui termine l’interview avec Cédric.
Pour toutes les informations concernant le Festival (tickets, mobilité, campings, line-up…), rendez-vous sur le site – https://cabaretvert.com/
Le Cabaret Vert 2025 ouvrira ses portes du jeudi 14 août au dimanche 17 août. Il aura lieu au Square Bayard à Charleville-Mézières (10 mn à pied de la gare SNCF).
Situé idéalement entre la Belgique et le Luxembourg, le Cabaret Vert est l’événement culturel du nord-est de la France à la fin de l’été !