PACIFIC PALACE – LE SPIROU DE CHRISTIAN DURIEUX

Inclassable et mélancolique
Le Pacific Palace est un hôtel prestigieux qui vit dans les souvenirs de sa gloire aujourd’hui fanée; un hôtel isolé, entre mer et montagne, dans le sud de la France.

Spirou regrette déjà d’y avoir fait engager Fantasio, viré comme un malpropre du journal Moustique : l’ex-journaliste reconverti en groom n’a pas la tenue qui sied au calot, et ne rate pas une occasion de commettre bourde sur bourde, au grand dam de Mr Paul, le directeur de l’hôtel.
C’est au Pacific Palace que vient trouver refuge un dictateur en fuite, Iliex Korda (un mix de Ceausescu et Karadzic), avec sa femme, sa fille, Elena, et ses gardes du corps. Pour décider du sort du tyran, le temps est compté : 3 jours et 3 nuits. Et pour garder le secret des négociations, le personnel est réduit au strict minimum, ce qui donne à l’hôtel un aspect fantomatique, et à Spirou et Fantasio l’occasion de vivre une aventure, dans bien des domaines.

Si vous êtes des inconditionnels des aventures « classiques » de Spirou et Fantasio, vous risquez d’être décontenancés, presque déçus de ne pas y retrouver les éléments d’humour et fantastique, ni le Marsupilami (bien qu’il y ait un clin d’oeil) qui ont fait la marque de la série.
Car il ne s’agit pas là de la série aux 56 albums, dont les auteurs les plus marquants sont Franquin, Fournier ou encore Tom et Janry – fait rare en BD, Spirou et Fantasio appartiennent à leur éditeur, Dupuis, en l’occurrence, et non à un auteur ou un dessinateur en particulier – mais bien de la collection parallèle créée par Dupuis en 2006, intitulée “Le Spirou de..”
Pacific Palace est Le Spirou de Christian Durieux, au scénario et au dessin.

Il réussit la prouesse de signer une BD somptueuse en intégrant les références (le Marsupilami je l’ai dit, Seccotine..) tout en cassant les codes. C’est davantage l’hôtel lui-même qui est le véritable héros de cette histoire, presque ex-aequo avec l’énigmatique et flegmatique Monsieur Paul toujours tiré à quatre épingles.
Le rythme trépidant habituel de Spirou et Fantasio laisse place à un rythme plus lent, plus attentiste.
Le ton de cette histoire, entre humour, policier et realpolitik, l’attention accordée aux détails et aux décors feutrés de cet hôtel – qui m’a fait penser à l’univers d’Agatha Christie pour 2 de ses romans : « à l’hôtel Bertram » avec Miss Marple, et Le sanglier d’Erymanthe, l’un des mystères résolus par Poirot dans « Les 12 travaux d’Hercule » – nous plongent dans un huis clos fascinant et déroutant.

Mais l’une des plus belles trouvailles de Christian Durieux – en plus de la scène clé située dans la piscine Art Déco, sublime, de l’hôtel – c’est de s’emparer magistralement de Spirou et Fantasio, des personnages ultra connus de la BD, pour en faire des ados insouciants, narquois, un peu vantards – surtout Fantasio – coupé du réel au propre comme au figuré, et principalement préoccupés par les filles, et par une en particulier, Elena, dont ils se disputent les faveurs.
Une BD élégante, hypnotique et somptueuse.